Juin / Septembre 2024
À propos
Blackwoods, 2023
J'ai toujours aimé avoir peur en lisant, et j'aime éprouver l'atmosphère
d'« inquiétante étrangeté » qui émane des images.
J'ai toujours eu cette crainte des fantômes, de l'invisible qui existe peut-être.
Dans la pénombre, mon imagination s'emballe. Et dans la forêt... Je comprends la
frayeur de la jeune fille dans « Rêvé pour l'hiver » (Arthur Rimbaud) :
« Tu fermeras l’oeil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs. »
La forêt, donc ; pourvoyeuse de fantaisies lugubres et fascinantes, si bien décrite par
Rimbaud, Hugo... Voilà que je l'ai retrouvée chez cet auteur, Algernon Blackwood , un
auteur écossais, maître de la littérature d'épouvante, en qui Lovecraft voit « le
maître absolu et indiscuté de l'atmosphère fantastique ».
Les titres de ses recueils de nouvelles tiennent leurs promesses : L'homme que les
arbres aimaient, La Forêt pourpre. Des nouvelles dont l'étrangeté m'a profondément
impressionnée : toujours, des personnages qui partent en expédition au fin fond des
bois canadiens, le long de rivières, au bord des lacs, pour des motifs que l'on oublie,
dont ils sont détournés par des événements plus qu'étranges... Effrayants : des
buissons se rapprochent du campement pendant leur sommeil, entrecoupé de réveils
angoissés sans qu'il puissent dire précisément pourquoi ; mais les Indiens natifs, eux,
savent – et ils ont peur, veulent s'en retourner ; des formes évanescentes et
menaçantes semblent émaner des saules ; ils ont la sensation d'une présence, voient
parfois des yeux dans la nuit ; ils sentent des odeurs indescriptibles, entendent des
bruits qui annoncent que, oui, un autre monde existe ; et alors les personnages
basculent, et nous avec : le Wendigo, on ne le voit pas, mais on sent sa présence, son
odeur, sa voix qui vous appelle... La victime est enlevée du sol, envolée au sens premier
du terme, on l'entend crier dans un ciel inaccessible « Ah ! Quel vertige ! Ah ! Mes
pieds, mes pieds en feu... » Les forces de la nature sont les véritables personnages de
ces récits, forces ambivalentes à la fois fascinantes, supérieures et potentiellement
destructrices, présentes dans les arbres, les rivières, les lacs. Des forces qui donnent
naissance à des émanations, presque à des respirations surnaturelles. L'eau, les bois
et les rêves.
Ce travail photographique est le fruit de réminiscences de ces textes, des échos
visuels qui tentent d'évoquer ce « Passage pour un autre monde » et de rendre un
modeste hommage à ces récits qui me soufflent tant d'images.
Caroline Crépet